Comment je n’ai pas nagé avec les dauphins…

Samedi 3 décembre 2011, 5h45.

Il y a relativement peu de choses qui peuvent me tirer du lit aux petites heures du matin, surtout pendant le week-end : un train ou un vol vers une destination alléchante, une rencontre de traducteurs ou autre conférence/formation/séminaire sur l’un de mes thèmes de prédilection, un examen (ça je m’en passerais bien) et… des dauphins.

Aujourd’hui, je suis censée aller nager avec ces derniers dans les eaux relativement fraîches (complètement glacées, oui !) de Forster. Fisherman’s Wharf, une petite entreprise touristique, organise ce genre d’expéditions pour la somme très modique de 75$ (et pour un montant nettement moins modique, vous pouvez également vous offrir un voyage pour aller fricoter avec les baleines à bosse). Nous embarquons donc, seize touristes groggy de sommeil, le capitaine Ron Hunter et sa matelote de fille, une grande créature aux cheveux déteints par le soleil, au sourire franc et aux yeux pétillants.

Le bateau se dirige doucement vers le brise-lame, le dépasse et s’élance alors dans les vagues. Le ciel est nuageux mais quelques rayons de soleil filtrent par endroits. Nous sommes ballottés par la houle et, à mon grand désespoir, je sens que mon petit déjeuner ne se plaît pas beaucoup au creux de mon estomac. Je peux presque sentir toute couleur quitter mon visage… Quelques instants plus tard, je suis pliée par-dessus bord en train de me vider de mes entrailles. Un vrai bonheur. Ce qui me console vaguement, c’est que je ne suis pas la seule. Une autre jeune femme souffre d’un mal de mer au moins aussi sévère que le mieux. Je me sens du coup un peu moins ridicule, un peu moins seule, et jette des regards compatissants à ma compagne d’infortune.

Quelques moments de répit, mais toujours pas de dauphins en vue. L’heure tourne et je trépigne. Je suis prête à endure les haut-le-cœur mais pas pour rien ! Finalement, alors que nous nous apprêtions à prendre le chemin du retour, quelqu’un pousse un cri. Là-bas ! Là-bas ! Nous nous rapprochons de la plage, des silhouettes grises qui fendent les vagues. Vite, on se met en combinaison de plongée. Mais pas vraiment pour nager. C’est en fait un par un que nous entrons dans l’eau, accroché à une corde qui longe l’embarcation. Il faut alors se placer le plus à l’avant du bateau possible, bien droit et pousser des sons aigus pour attirer les dauphins… C’est un vrai numéro de cirque, avec toute la dimension comique que cela peut comporter. Un premier homme-poisson se jette à l’eau. On entend ses « squeek squeek squeek » hystériques à travers son tuba et tous ceux qui sont encore au sec rigolent bien. Après une petite minute, on lui fait signe de remonter à bord. Au suivant !

Je me sens un peu mieux et je veux tenter ma chance. Je m’assoie au bord du bateau, mes pieds nus dans l’eau glacée. J’enfile masque et tuba et me prépare au signal. Go ! Je plonge. Le froid pénétrant me coupe le souffle. Pas le temps de réfléchir, c’est en apnée que je me hisse à l’avant du bateau et me mets en position. Je m’efforce alors de respirer et de faire les sons aigus censés attirer les cétacés. J’ai presque l’impression de suffoquer avec les vagues qui m’arrivent en pleine tête. J’ai la sensation que le bateau accélère et que la vitesse fait pression sur tout mon corps. Malgré tout, je continue de pousser des petits cris aigus, d’ouvrir grand les yeux, mais rien. J’attends ce qui me semble être une éternité et toujours rien. Lorsque je sens que quelqu’un tire sur la corde, signe qu’il est temps pour moi de remonter à bord, je suis submergée de déception…

Les dauphins sont déjà loin, on lance le bateau à leur poursuite, se rapproche à nouveau. Puis on recommence les mises à l’eau. Ils viennent alors juste à côté du bateau. La fille alors accrochée à la corde a une chance inouïe, ils sont là à nager joyeusement juste à côté d’elle… 3, 4, 5 Grands Dauphins ! Je suis franchement jalouse. Une fois que tout le monde est passé, j’ai le droit à une seconde chance. Je retourne dans l’eau. Je suis plus calme cette fois-ci. J’arrive mieux à respirer et pousse des « squeek squeek squeek » un peu moins paniqués. Mais devant moi, c’est encore une mer vide qui s’ouvre. Je ne comprends pas. Pendant un long moment, j’ai la sensation que c’est de ma faute, que je fais quelque chose de mal. Ou bien que les dauphins n’ont pas envie de jouer avec moi. Lorsque je remonte à bord, je comprends finalement que je ne suis pas en cause. Deux jet-ski non loin de là ont effrayé les cétacés qui sont sûrement déjà loin. Tous les passagers leur crient leur mécontentement.

Il est temps de rentrer. Prise par de nouveaux haut-le-cœur, je crache dans l’océan mes entrailles et ma déception. Il me faudra du temps après cela, pour qu’à ce souvenir douloureux se substitue celui, merveilleux, de ma première rencontre avec les dauphins sauvages quelques semaines plus tôt. C’est celui-là que je préfère garder en mémoire car alors je me dis : « Je n’ai pas nagé avec les dauphins. Mais presque. Et c’est tout comme ».

 

Et parce que nager en piscine avec un dauphin captif dépressif et réduit en esclavage n’est rien comparé à la possibilité de les côtoyer dans leur milieu naturel, ne cédez pas à cette facilité. Ne soutenez pas une industrie qui exploite les mammifères marins et qui entretient le massacre de milliers d’entre eux chaque année dans la baie de Taiji au Japon.

Pour plus d’infos, c’est ici (en anglais). Ou sinon, par ici (en français).

Photos by Thierry Tournié

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Catherine Derieux

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